Lettre N°43 du Pr Henri Joyeux – Le 30 décembre 2014

Un important business se construit autour des cellules souches. Des brevets sont en cours. Des compléments alimentaires coûteux faciliteraient la formation, « la sécrétion, la circulation, la migration de ces cellules jusqu’aux tissus et organes y compris la peau ». Que faut-il en penser aujourd’hui, en sachant que les informations actuelles sont susceptibles d’évoluer ?

Que sont et à quoi servent les cellules souches ? Ces compléments qui les stimuleraient sont-ils vraiment utiles ? Si la réponse est positive, sont-ils nécessaires chez les bien-portants pour qu’ils ne tombent pas malades ? Et chez les patients atteints de cancer, en cours de traitement ou dans les années de surveillance, les cellules souches sont-elles vraiment utiles pour éviter la récidive ?

Les questions sont si nombreuses que nous les traiterons en deux lettres successives. Cette première lettre explique les fondamentaux à connaître pour comprendre les cellules souches.

La semaine prochaine, je traiterai de façon plus précise des espoirs thérapeutiques, c’est-à-dire de guérison, liés aux cellules souches, y compris ce que vous pouvez faire aujourd’hui, dans votre vie quotidienne, pour mieux profiter du potentiel de régénération de ces cellules qui sont en vous.

Qu’est-ce qu’une cellule souche ?

Nous avons vu dans une lettre précédente le feu d’artifice des cellules de notre corps qui ont des durées de vie fort différentes. Les globules blancs vivent une semaine, les rouges 120 jours, les cellules de l’estomac une année comme celles du foie, celles de l’intestin 2 à 5 jours, 2 à 3 mois pour la prostate, 10 ans pour les cellules des os… Cette symphonie cellulaire en permanente évolution peut nous amener à un siècle de vie, peut-être plus, avec ses joies et ses misères de santé.

Remarquons au passage que nous ne sommes vraiment conscients de notre santé que lorsque nous tombons malade. Un ami me disait « j’ai compris à quoi servaient ma main droite et mes dix doigts seulement lorsque j’ai dû être plâtré ». On peut en dire autant de chacun de nos organes.

Quand chaque cellule a fini sa vie, elle entre en apoptose [1], comme nous y entrerons certainement centenaire ou plus, si nos conditions et modes de vie sont ajustés à notre propre biologie.

Une cellule souche est une cellule originelle capable de se multiplier, elle appartient à un organisme en construction, animal, humain ou végétal qui devient multicellulaire. Elle est à l’origine indifférenciée (ne ressemble à aucune cellule particulière). Elle peut donc se différencier en cellules distinctes pour construire l’organisme dans lequel elle évolue et appartenir à tel ou tel tissu ou organe du vivant. Les chercheurs parlent d’« échafaudages » qui maintiennent les cellules en place.

Au tout début de notre vie, quand le spermatozoïde de notre père a rejoint l’ovule de notre mère (dans le corps maternel ou dans une éprouvette), nous sommes la première cellule souche embryonnaire, apte à devenir progressivement un organisme tout entier qui s’échafaude jour après jour. Cela est vrai pour les plantes, pour les animaux, cela est vrai aussi heureusement pour l’homme.

Les cellules souches embryonnaires (CSE) et la croissance embryonnaire

L’œuf humain puis l’embryon est porteur de cellules immatures capables de se transformer en n’importe quel tissu de l’organisme. On parle de cellules souches embryonnaires (CSE). C’est le petit corps embryonnaire qui en possède le plus. Elles sont dites totipotentes, issues des premières divisions de l’ovule fécondé, devenu œuf humain.

Les cellules jusqu’au 8e jour de vie sont capables de s’orienter vers tous les types cellulaires de l’organisme, individu en construction selon ses besoins. Evidemment, de nombreuses molécules fabriquées par l’embryon, en particulier hormones et facteurs de croissance, sont nécessaires à cette construction. La maman envoie par le cordon ombilical les matériaux nécessaires qui viennent de son alimentation et ont traversé sa barrière intestinale. Par voie sanguine, ils traversent la plaque du placenta pour aider l’enfant à se construire, lequel – ne l’oublions pas – a un groupe sanguin différent de celui de sa maman.

– Au fur et à mesure de la croissance, après le 8e jourles CSE perdent leur totipotence et deviennent pluripotentes. Elles se transforment ensuite en cellules du sang, cellules nerveuses, cartilagineuses et osseuses, cardiaques, urinaires, digestives, cutanées, musculaires… participant activement à la construction du fœtus et du futur bébé à naître.

Les effets délétères de certains traitements pris par la mère pendant la croissance embryonnaire nous ont indirectement beaucoup appris quant à la construction embryonnaire et fœtale. Par exemple, le désastre de la Thalidomide [2]. Ce « médicament utilisé durant les années 1950 et 1960 comme sédatif et antinauséeux, notamment chez les femmes enceintes » s’est révélé être un médicament anti-angiogénique – donc antifacteur de croissance –, bloquant la construction de vaisseaux des membres. D’où les arrêts de construction d’un membre pendant la vie intra-utérine. Ainsi sont nés des enfants sans membres ou avec des membres très courts. Un seul comprimé pris au début de la grossesse suffisait à causer des dommages irréversibles aux embryons.

Il faut donc toujours être prudent avec les médicaments, surtout chez une femme enceinte aussi bien que chez un couple (père-mère) qui prépare une grossesse. Trop souvent, les médicaments n’ont pas été correctement testés chez l’animal, d’abord au plus proche de l’homme, et encore plus avec les manipulations génétiques. C’est malheureusement trop souvent ce qui se passe avec les nouvelles molécules qui sont testées de plus en plus chez le petit animal très éloigné de l’humain, et aussi chez l’humain avec trop souvent le feu vert des comités d’éthique.

– Le retour en arrière des CSE devenues matures
Les chercheurs nous ont appris assez récemment que toute CSE en cours de transformation en cellule mature est capable – dans des conditions très spéciales de laboratoire – de revenir en arrière en perdant sa différenciation pour redevenir une cellule souche. On induit cette transformation. Il s’agit de iCSE (CSE induites).

Evidemment, utiliser de telles cellules pose aux scientifiques des problèmes éthiques majeurs, car pour les exploiter, on est obligé de détruire l’embryon humain qui possède tout le potentiel d’une personne humaine. Que faire : accepter de détruire ou se le refuser par respect de la personne humaine dans ses débuts ?

Le doute a été instauré par les scientifiques eux-mêmes poussés par les politiques. En 1983, le premier président du Comité consultatif national d’éthique des sciences de la vie et de la santé, le Pr Jean Bernard (1907-2006) a été nommé par le président de la République. Le célèbre hématologue fit rapidement un distinguo subtil et dangereux entre la personne potentielle, l’embryon, et la personne humaine née d’un corps féminin.

Ce distinguo fait que la personne potentielle [3] ne serait pas encore humaine. Pourtant si c’est un amas cellulaire, il ne faut pas oublier qu’il a tout le potentiel pour devenir un beau vieillard centenaire. Est-il alors une personne, ou n’est-il personne ?

– Les scientifiques se disputent encore sur ce sujet. Pourtant, l’homme de la rue trouve très vite la solution. En effet, quelle différence y a-t-il entre la première cellule que nous avons tous été et toutes les étapes de notre vie, œuf humain 7 jours, embryon 2 mois, fœtus 4 mois de plus [4], puis enfant viable dès le 6e mois de grossesse, et enfin l’enfant né qui se développe jusqu’au plus grand âge ?

Evidemment, si l’on considère que l’embryon n’est pas une personne humaine, on s’en sert comme objet d’expérience et cela peut durer toute la vie. C’est ce que certains ont en tête. Ils oublient les expérimentations réalisées par les zélateurs du national-socialisme allemand sur les juifs, les handicapés, les prisonniers… et aussi en Amérique sur des condamnés à mort.

Ceux qui acceptent ce point de vue considèrent d’abord la dépendance de l’œuf ou embryon humain : il a besoin évidemment d’un corps maternel pour se développer. Cette dépendance qui dure le temps de la grossesse et toute la petite enfance, on la retrouve différemment au grand âge.

Pour moi comme pour beaucoup de mes collègues qui n’osent pas trop s’exprimer sur ce sujet, l’être humain, quel que soit son âge et son état, ne peut être objet d’expérience ou de marchandisation. N’oublions pas que nous sommes dépendants tout autant, mais de manière différente, les trois premiers jours de notre vie que les trois derniers.

– Les risques de cancer après implantation de cellules souches embryonnaires
Les chercheurs nous apprennent aussi que ces cellules embryonnaires, redevenues souches, implantées dans un organisme d’enfant ou d’adulte, ont un grand potentiel de cancérisation. Voilà le problème, pour l’instant non résolu, l’obstacle majeur.

Malgré les multiples réticences éthiques, de nombreux laboratoires dans le monde ne se sont pas gênés pour avancer dans ce sens chez l’humain – toujours en quête d’un prix Nobel ! Avec des moyens importants, ils ont utilisé les CSE et n’ont obtenu aucun résultat probant en matière de santé publique, pas plus chez l’animal que chez l’homme.

Nous ne pouvons pas croire qu’il soit plus coûteux d’utiliser des CSE animales plutôt que celles d’origine humaine que certains veulent à tout prix récupérer d’embryons congelés dits « sans projet parental » qui seraient gratuitement « donnés » à la science pour faire n’importe quoi ! L’homme n’est pas un animal même si ce dernier aura bientôt des droits !

La science a donc ses propres limites. Elles rejoignent l’éthique, c’est-à-dire le respect de la personne humaine avec laquelle on ne peut pas faire n’importe quoi.

Des cellules souches adultes (CSA) : des découvertes récentes

C’est en 1981 que l’on a découvert des cellules souches dans un corps animal adulte, la souris, et en 1998 chez l’homme. Un corps adulte continuerait donc à fabriquer des cellules souches que les chercheurs sont parvenus à prélever, isoler et mettre en culture. Les travaux des chercheurs ont été à l’origine de prix Nobel en cascade.

– Le prix Nobel de médecine 2007 pour la découverte des cellules souches adultes
Chez l’animal, c’est en 1981 que Martin Evans, généticien Britannique, avec ses collègues Oliver Smithies, généticien américain d’origine anglaise et Mario Renato Capecchi, généticien d’origine italienne, professeur de génétique humaine et biologie à l’Université de l’Utah, découvrent les cellules souches dans des organismes adultes (CSA). Ils ont obtenu vingt-six ans plus tard le prix Nobel de médecine.

Chez l’homme, des cellules souches ont été découvertes en 1998 par l’Américain James Alexander Thomson et son équipe au Genome Center of Wisconsin à Madison.

Ce sont ces découvertes fondamentales qui ont permis d’imaginer la thérapie cellulaire. Il s’agit d’utiliser le potentiel des nouvelles cellules souches. Elles sont capables, dans un milieu de culture ou dans un tissu particulier, de prendre les caractéristiques de cellules environnantes, celles du tissu où elles s’implantent.

 Le prix Nobel de médecine de 2012 pour deux pionniers, à 45 ans d’intervalle, qui transforment des cellules adultes en cellules souches
Le Britannique John Gurdon et le Japonais Shinya Yamanaka reçoivent le prix pour avoir découvert que « les cellules adultes matures peuvent être reprogrammées pour devenir pluripotentes », c’est-à-dire cellules souchesCela signifie qu’à partir de cellules déjà différenciées, ils peuvent faire retourner ces cellules à l’état de cellule souches.

* John Gurdon, professeur de biologie cellulaire de l’université de Cambridge, découvre en 1962 que les cellules adultes de grenouille contiennent toutes les informations d’une cellule souche. Il remplace le noyau d’un ovule de grenouille par celui d’une cellule intestinale qui est donc bien différenciée. Il obtient un têtard bien vivant démontrant que l’ADN de la cellule intestinale contient encore l’information nécessaire au développement de la grenouille. C’est la base du clonage des mammifères. Il est le premier à élaborer le concept de reprogrammation cellulaire.

Notons au passage que la brebis Dolly [5] a été le premier mammifère cloné en 1996 à partir de cellules mammaires d’une brebis adulte, dont le noyau cellulaire a été transplanté dans l’ovule énucléé d’une autre brebis. Pas évident à comprendre, mais… Dolly est née le 23 février 1997, puis a été victime d’un vieillissement prématuré. Euthanasiée en 2003, elle nous a appris que son patrimoine génétique était déjà vieux de 6 ans à sa naissance. Prouesse scientifique certes, mais d’intérêt discutable. Au fond il n’y a pas grand intérêt à se faire cloner si l’on doit vieillir prématurément !

Des cellules adultes spécialisées peuvent donc être reprogrammées en cellules souches pluripotentes puis transformées en laboratoire pour être réorientées vers un des 200 types de cellules du corps humain.

*Shinya Yamanaka, ancien chirurgien orthopédique à Kyoto, directeur du Center for iPS Cell Research and Application et Directeur de recherches de l’Institut for integrated cell-material Sciences (iCeMS), confirme en 2006 la découverte de Gurdon en reprogrammant des cellules matures de souris en cellules souches pluripotentes immatures (iPS induced pluripotent stem cells).

Shinya Yamanaka, en collaboration avec Thomson, a donc pu obliger des cellules à faire marche arrière et à redevenir des cellules souches pluripotentes. Yamanaka avait observé préalablement que quelques gènes étaient impliqués dans ce processus. Encore fallait-il les activer comme il convenait. Les chercheurs ont alors testé différentes combinaisons. L’une d’entre elles, nécessitant l’activation de quatre gènes, s’est révélée fructueuse.

Pour les spécialistes : « Ils obtiennent des cellules souches embryonnaires à partir de cellules spéciales, les fibroblastes de la peau, par transformation génétique en utilisant un cocktail de gènes (Oct4, SOX2, nanog et LIN28) impliqués dans le développement de l’embryon en utilisant des vecteurs viraux (retrovirus ou lentivirus). »

Ainsi ces équipes de chercheurs ont donc reprogrammé des cellules différenciées de la peau en cellules indifférenciées ou Cellules Souches Pluripotentes induites (CSPi ou iCSP).

Vers la médecine régénérative avec les cellules souches induites (iPS)

En 2007, l’équipe de Yamanaka a reproduit ses expériences avec des cellules humaines et en 2008, dans un article publié dans la prestigieuse revue Science, il affirme que sa méthode de transformation génétique des cellules à l’aide d’un virus bien choisi n’a pas pour conséquence l’apparition de cancer. Cette affirmation est opposée au risque de transformation cancéreuse des cellules souches embryonnaires (CSE) qui seraient utilisées en pathologie humaine.

Il envisage alors l’usage en thérapeutique de sa découverte pour la régénération des tissus. Implantées dans le corps d’un patient, ces cellules iPS pourraient remplacer par exemple les cellules malades du cœur, du pancréas diabétique qui ne fabriquent plus ou pas assez d’insuline. On parle de médecine régénérative, la médecine de demain.

Ainsi peut-on rêver de remplacer un jour les organes défaillants par des nouveaux en pleine santé.

De nombreux obstacles doivent encore être franchis, car toute cellule mature ou différenciée ne devient pas pluripotente d’un coup de baguette magique. Les premières tentatives chez l’animal, ciblées vers le foie et l’œil, sont encourageantes. Elles permettront d’éviter le recours aux cellules souches embryonnaires qui, c’est démontré, ont un potentiel cancérigène non négligeable.

La peau qui est l’organe humain le plus grand se renouvelle sans cesse grâce à de nombreuses cellules différentes, cornées, nerveuses (pour assurer les différentes sensibilités à la chaleur, la piqûre…), mélaniques pour la pigmentation. Chez l’embryon, les cellules de la peau possèdent des CSN, cellules souches neurales qui ne sont pas responsables du renouvellement de la peau, mais de son système nerveux à l’origine de la sensibilité. Malheureusement, ces CSN peuvent dégénérer suite à des mutations et se transformer en tumeurs comme toutes les CSE.

La recherche est donc en pleine ébullition dans ce domaine. Nous verrons la semaine prochaine ce que vous pouvez espérer concrètement des cellules souches, et même ce que vous pouvez faire aujourd’hui pour renforcer votre santé.

Restons prudent cependant, car les cellules souches quelles qu’elles soient ne nous rendront pas éternels comme certains cherchent à nous le faire croire.

Bien à vous,

Pr Henri Joyeux

Sources

[1] L’apoptose n’est pas le « suicide » de la cellule comme beaucoup de collègues le disent, mais sa mort naturelle.

[2] Commercialisé en 1956 en Allemagne sous le nom de Grippex, contre la grippe. Dès fin 1957, il est prescrit comme hypnotique sous le nom de Contergan d’abord accessible sans prescription. En 1958, le laboratoire lance une campagne publicitaire massive auprès de 40 000 médecins pour les inciter à prescrire le médicament, en particulier aux femmes enceintes pour neutraliser les nausées du premier trimestre. Les risques de malformations congénitales des membres (dysmélie) ne sont reconnus qu’en 1961 et ont atteint près de 20 000 enfants. Malheureusement, d’autres scandales suivirent avec le Distilbène, le Médiator et plus récemment la pilule Diane 35.

[3] Avis relatif aux recherches sur les embryons humains in vitro et leur utilisation à des fins médicales et scientifiques – décembre 1986

[4] « Infans conceptus pro jam nato habetur quoties de commodis ejus agitur » : « L’enfant conçu sera considéré comme né chaque fois qu’il pourra en tirer avantage ». Cette expression latine fait référence à la loi qui permet à un fœtus d’hériter même si son parent est mort avant qu’il naisse. Cette loi issue du droit romain est utilisée encore aujourd’hui dans la plupart des pays européens et américains ainsi qu’en Afrique du Sud.

[5] Les scientifiques ont donné à la brebis le nom de « Dolly » en hommage à une chanteuse américaine, Dolly Parton, ayant développé une forte poitrine, car le clonage a été réalisé à partir de cellules de glande mammaire.

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