Lettre N°4 du Pr Henri Joyeux – Le 8 avril 2014

Chère lectrice, cher lecteur, chers amis de la Santé

Je suis très heureux par l’intermédiaire de cette lettre de vous retrouver chaque semaine. Vous êtes déjà 150 000 abonnés gratuitement à ce média qui se veut libre, scientifique à la portée du plus grand nombre. J’ai reçu pas mal de mails me demandant si j’étais bien l’auteur de ce courrier hebdomadaire. Je vous le confirme et vous rassure, je suis bien l’auteur de ces lignes.

Avons-nous conscience de l’organisation de notre « Palais des saveurs », notre bouche ?

Certainement pas, car nous mangeons tellement vite, tellement mal, que nous perdons les goûts des aliments qui sont à notre disposition. Nous ne faisons pas mieux que les animaux. Eux ont de la salive, mais elle ne contient pas les enzymes du goût. Ils ne prennent pas le temps de goûter les aliments : ils bouffent. Nous faisons souvent comme eux. Trois coups de dents et nous avalons comme eux.

Un court rappel s’impose pour mieux comprendre le fonctionnement de cette petite zone de notre corps, le carrefour dit aéro-pharyngé, qui nous permet de respirer, goûter, mastiquer, manger, parler, siffler, chanter… Une merveilleuse mécanique, si douloureusement détraquée quand la salive manque, quand les aliments n’ont plus de goût, quand les dents tombent, quand l’air passe mal, quand les aliments font fausse route, quand ils ne veulent pas descendre vers l’œsophage et l’estomac.

Imaginez deux secondes que vous n’avez plus de langue : vous ne pouvez ni parler, ni manger et ce que vous mettez dans votre bouche n’a pratiquement aucun goût, sans parler de vos difficultés à avaler.

Imaginez deux secondes que vous n’avez presque plus de salive… Vous la chercherez sans cesse et les boissons ne vous suffiront pas. Les patients atteints de cancer ORL sont traités par les rayons qui protègent mal les glandes salivaires, d’où des hyposialies (peu de salive) ou même des asialies (pas de salive) très handicapantes pour parler, manger, goûter les aliments, bref, se nourrir correctement. Il y a de quoi perdre la joie de vivre !

Votre Palais des saveurs est une merveille pour votre plaisir

La langue et les papilles gustatives sont réparties sur toute la surface de la langue, dite surface linguale.

La langue est constituée de 12 petits muscles qui ne font qu’un. La mobilité de la langue module la voix.

Les papilles gustatives sont à la surface de la langue. Ce sont les petits reliefs que nous observons bien devant le miroir. Là sont situées les minuscules cellules qui réceptionnent les saveurs. Les papilles ont différentes formes : filiformes (en forme de fil), les plus nombreuses, fungiformes (ressemblant à des champignons) disséminées sur la pointe de la langue, ou en forme de calice dites caliciformes. Ces dernières sont les plus volumineuses, au nombre de 9 en forme de V ouvert dont la pointe est dirigée vers l’arrière. Elles ne sont visibles qu’avec le petit miroir du médecin collé au sommet du palais. Leur présence en arrière de la bouche démontre bien l’importance de garder en bouche les aliments ou boisson avant d’avaler afin d’en goûter tous les arômes. Il y a en plus les papilles foliées (en forme de feuilles) ou coralliformes (en forme de corolle ou petites couronnes) présentes sur les bords latéraux de la langue.

Des papilles gustatives sont aussi présentes à l’intérieur des joues, sur les gencives, sur le voile du palais et même sur la luette. Toutes sont reliées à de très fins nerfs sensitifs et sensoriels. Nous refaisons nos papilles linguales tous les 10 jours, cela veut dire que nous devons sans cesse les stimuler, car chaque jour un certain nombre finit leur vie, tandis que d’autres naissent pour vivre et nous servir une dizaine de jours. La perte progressive du goût (comme de l’odorat) est un des premiers signes de ces deux maladies auto-immunes que sont l’Alzheimer et le Parkinson.

Lorsque vous êtes soumis à une chimiothérapie, les médicaments que vous prenez sont « antimitotiques », cela veut dire qu’ils arrêtent la vie de toute cellule en cours de multiplication. Cela est vrai pour les globules blancs dont les taux chutent parce que leur durée de vie normalement n’excède pas 7 jours, cela est vrai aussi pour les papilles de la langue qui sont ”abrasées” par la chimiothérapie… Vous comprenez pourquoi vous perdez le goût partiellement ou totalement et dès que vous vous éloignez de la chimiothérapie vous le retrouvez progressivement.

Trente deux dents au total

Elles sont implantées en bas sur la mandibule mobile, en haut sur le maxillaire (8 incisives, 4 canines, 8 prémolaires et 12 molaires). Elles ne servent pas que pour le sourire. Elles sont dédiées à la mastication, à broyer les aliments, à les transformer de solide, en pâteux et même en liquide.

L’œsophage est un tuyau musculaire dont les parois sont accolées et qui ne devrait recevoir que des aliments liquides ou pâteux. Or trop souvent ce sont des morceaux de viandes, de fruits, de pains qui descendent dans l’œsophage. Ils ne peuvent qu’irriter la muqueuse œsophagienne et la traumatiser de manière chronique, d’où les risques d’inflammation (œsophagite) et même de cancer de l’œsophage à la longue ou de constitution de diverticules chez les personnes très stressées.

Le diverticule de l’oesophage est une hernie dans la paroi de l’oesophage près du cou en général, qui peut devenir énorme et ainsi contenir plusieurs centaines de millilitres de liquide. Cette hernie de l’oesophage cervical est utilisée dans les foires par les cracheurs de feu. Ils le remplissent d’alcool fort et par un geste brusque au niveau du cou, en général à gauche, le « crachent” devant un briquet allumé.

Bon à savoir sur les dents blanches

La mode des dents blanches a traversé l’Atlantique et elle est proposée de plus en plus souvent en France. Ne jamais la réaliser en dessous de 16 ans et jamais chez les femmes enceintes ou en lactation. Difficile à supporter est la sensibilité dentaire au chaud, au froid ou au toucher. Elle dépend des produits utilisés. Les dentifrices n’ont normalement pas plus de 10% de concentration en produits blanchissants. Ces produits contiennent du peroxyde d’hydrogène (utilisé par ailleurs comme désinfectant), mais il faut bien le doser et c’est pour cela qu’il est surtout utilisé par les dentistes et les professionnels. Dans les kits de blanchiment pour les dents, on retrouve surtout le peroxyde de carbamide qui est un produit plus doux que le peroxyde d’hydrogène. C’est lui qui s’introduit dans l’émail dentaire et supprime les tâches.

Attention, les couronnes gardent leurs couleurs originales d’où les risques d’inégalité de couleurs et de sourire disgracieux. Le peroxyde donne des picotements dans la bouche lorsqu’il entre en contact avec la gencive. On rencontre cette sensation désagréable de picotements chez à peu près 50 % de la population traitée au peroxyde. Pour moins de 50 euros, on peut trouver des traitements très efficaces alors que ce même soin de blanchiment des dents pratiqué chez le dentiste peut coûter jusqu’à 100 euros pour le même résultat. Des dentifrices contenant du nitrate de potassium aident à réduire la sensibilité dentaire.

Six glandes salivaires majeures et des centaines accessoires

Trois de chaque coté, parotides sous les oreilles, sous maxillaires sous les maxillaires et sublinguales sous la langue, sont capables de fabriquer chaque jour 1 à 1,2 litres de salive, autant que l’estomac (liquide gastrique), le foie (la bile) ou le pancréas (liquide pancréatique).

Si nous mastiquons correctement, longuement les aliments, chaque glande salivaire déverse sa composition de salive dans le palais par l’intermédiaire de petits canaux qui se terminent par de très petits orifices à l’intérieur des joues et sous la langue. On peut voir en soulevant la langue, la bouche bien éclairée, ces deux minuscules trous, à la sortie des glandes sublinguales, par où sort la salive en petits jets, quand on appuie à plusieurs reprises sous le menton. Si nous mastiquons peu ou mal les aliments, nous fabriquons trop peu de salive, 300 à 500 ml ce qui est notoirement insuffisant, et sera à l’origine de troubles de la digestion.

Il existe aussi de petites glandes salivaires accessoires, microscopiques, réparties dans la muqueuse des joues au nombre de 400 à 700 selon les personnes. Elles humectent nos joues en permanence. Soulignons que nous refaisons les cellules de la partie interne, muqueuse des joues tous les 5 jours.

Les nerfs crâniens captent tous les goûts, les conduisent au cerveau

Trois paires de nerfs crâniens [1] sur les douze sont chargées de nous faire percevoir une immense combinaison de nuances de saveurs au delà des 5 classiques : le sucré, le salé, l’acide, l’amer et l’umami (mot japonais qui veut dire « savoureux »). Toutes les parties de la langue sont capables de percevoir ces 5 saveurs de base.

Les nerfs moteurs et sensitifs donnent à la langue à la fois sa mobilité et son extraordinaire sensibilité, on peut même dire sensorialité.

La digestion commence dans la bouche

C’est dans le Palais des saveurs que démarre la digestion, grâce à la salive et à ses enzymes.

La salive joue un rôle très important pour imprégner les aliments broyés par les dents, leur donner toutes leurs saveurs, liquéfier les éléments les plus solides afin que, liquides ou pâteux, ils puissent descendre sans obstacle le long de l’œsophage jusqu’à l’estomac.

La salive est constituée de minéraux (sodium, potassium, chlore), de petites quantités de sucre et d’urée, des hormones (selon l’évolution du cycle féminin). Les chirurgiens dentistes savent parfaitement, s’ils sont attentifs, repérer la période du cycle de la femme, même si elle est sous pilule. La salive régule le pH de notre bouche en neutralisant les premiers acides des aliments.

C’est grâce à la salive que nous avons les goûts

La salive contient des enzymes qui révèlent le goût. À noter que les animaux n’ont pas d’enzymes dans leur salive. Ils avalent très vite. Ne les imitons pas !

Les enzymes salivaires ne peuvent jouer leurs rôles que si les aliments restent suffisamment longtemps dans la bouche : l’amylase ou ptyaline (pour pré-digérer l’amidon), une maltase, le lysozyme capable de détruire des bactéries (sorte d’antibiotique naturel qui secrète des anticorps – immunoglobulines A – qui empêchent les germes pathogènes de s’installer dans la cavité buccale), une lacto-peroxydase qui joue un rôle dans la défense immunitaire locale et la lipase surtout chez l’enfant pour commencer à digérer les lipides du lait maternel.

C’est donc la salive qui aide à révéler le goût des aliments.

Le Dr Rainer Wild Stiftung de l’Internationaler Arbeitskreis für Kulturforschung des Essens (Mitteilungen 2008, H. 16, S. 34–42) cite cet exemple très parlant :

« Si on ferme les yeux et qu’on dépose un morceau de sucre de roche ou de sel gemme sur sa langue, il est difficile de faire la distinction entre les deux alors que la langue est sèche. Ce n’est qu’en humectant le morceau en question avec la salive que les molécules de sel ou de sucre seront libérées et que l’on pourra reconnaître le goût sucré ou salé, et ce, grâce à l’eau, principal composant de la salive. »

La salive a aussi un rôle antiseptique de protection de toute la longueur de l’œsophage. N’oublions pas que sans nous en rendre compte nous déglutissons 1500 à 2000 fois par jour, y compris la nuit, bien que pendant ce temps de repos la sécrétion salivaire soit moindre.

Ne pas prendre le temps de mastiquer les aliments, c’est ne pas savoir les goûter. C’est perturber la digestion dès sa première phase et être sujet ensuite à une mal-digestion dans l’estomac et au delà. On comprend alors les si fréquentes flatulences, ballonnements et autres perturbations tout au long du tube digestif, jusqu’à la zone de sélection et de préparation des déchets dans le colon et le rectum.

Notre Palais des saveurs, royaume gustatif est évidemment en relation étroite avec l’odorat. Chacun de nous a expérimenté, l’eau qui monte à la bouche lorsque nous percevons les odeurs d’un bon plat. En réalité, l’odeur ou les odeurs déclenchent une plus ou moins forte salivation. Voilà pourquoi une de nos prochaines lettres concernera ce sens merveilleux de l’odorat, qui est parfaitement positionné au sommet du Palais des saveurs.

Bien à vous,

Pr Henri Joyeux

Source

[1] La VIIème bis paire, les nerfs faciaux, pour les papilles fongiformes de la pointe de la langue ; la IXème paire, les nerfs glosso-pharyngiens pour les papilles caliciformes ; la Xème paire, les nerfs pneumogastriques pour les papilles dispersées autour de la langue.

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